Introduction
Ivan Tourgueniev est un écrivain de renommée mondiale.
Dans la préface de la biographie du grand classique, Henri Troyat a écrit: « Je suis fasciné par son caractère et son destin. J'ai découvert un homme déchiré entre la Russie et l'Europe. Russe jusqu'au bout des ongles, il a vécu la plus grande partie de sa vie à l'étranger. C'est là qu'il a écrit ses œuvres les plus russes. Il n'était pas apprécié en Russie. Et en France, il était considéré comme l’ambassadeur de la culture russe. Il n'est pas devenu européen, mais il n'est pas resté russe non plus " [4, p.5].
9 novembre 2018 on a célébré le bicentenaire de Tourgueniev. Pendant les leçons de la littérature russe nous avons étudié la biographie et l'œuvre de cet écrivain, nous avons appris qu'on l'appelle "l'Européen russe" et qu'il est le premier écrivain russe reconnu en Europe.
L’idée est venue de faire ce travail de recherche dont le but est de clarifier le rôle de Tourgueniev dans l'enrichissement mutuel des cultures de la France et de la Russie.
Les objectifs du travail sont:
- étudier la période de la vie de l’écrivain en France et ses relations amicales et créatives avec des écrivains français (Gustave Flaubert, Georges Sand, Emil Zola, Louis Viardot);
- examiner les activités de traducteur de Tourgueniev, en particulier, analyser la traduction du roman "Viy" de N. Gogol;
- déterminer l'importance de la personnalité de Tourgueniev et de son œuvre dans la France moderne.
L’hypothèse: La personnalité de Tourgueniev a une grande importance dans les relations interculturelles entre la Russie et la France du XIXe siècle, et en France moderne le grand écrivain russe n’est pas oublié.
Le 9 novembre un de nos amis en France a visité, à notre demande, la maison-musée Tourgueniev à Bougival. Il a réussi à interviewer les professeurs et les membres de la société internationale de Tourgueniev Olga Kafanova et Vadim Domansky qui étudient l’œuvre de l'écrivain. Selon eux, "... Tourgueniev n'a pas encore gagné la place qu'il mérite dans la littérature mondiale comme nos autres classiques - Tolstoï, Dostoïevski, Tchekhov ... L'année jubilaire de Tourgueniev est marquée par de nombreuses conférences et par l'apparition de nouvelles études. Cela témoigne de l'attention croissante portée par les historiens de la littérature et le grand public à la personnalité et au patrimoine créatif du grand écrivain russe ".
Dans notre travail, nous avons utilisé les monographies d'Olga Kafanova et de Vadim Domansky "Les mondes artistiques de Tourgueniev " et d’Henri Troyat "Ivan Tourgueniev ", nous nous sommes servies des œuvres de l'écrivain en 30 volumes, nous avons utilisé des sources électroniques sur le sujet, ainsi que des sources en français: la lettre de Tourgueniev à Louis Viardot et la traduction du roman de Gogol "Viy" datée de 1845 que nous avons réussi à trouver à la Bibliothèque nationale de France.
L’objet d'étude: la période française de la vie de l'écrivain.
Le sujet de recherche: les relations avec les écrivains français et les activités de traducteur de Tourgueniev.
Les méthodes de recherche: analytique, interview, sondage, analyse et comparaison.
Le travail a deux parties: une partie théorique et une partie pratique.
L’importance de l'œuvre et de l’activité de Tourgueniev dans les relations interculturelles entre la Russie et la France est indéniable.Après avoir étudié la période française de la vie de l'écrivain, nous nous sommes intéressés à la traduction du roman de Gogol «Viy», car c'est après cette traduction que l'œuvre de Gogol s'est fait connaître en France.Dans notre travail, nous avons essayé d'analyser les caractéristiques de l’activité de traduction de Tourgueniev.
Afin de déterminer l’importance de la personnalité de Tourgueniev pour la France moderne, nous avons mené une enquête sociale auprès de Français de divers groupes d’âge.
1. Tourgueniev parmi les écrivains français
1.1 Tourgueniev - propagandiste de la culture russe à l'Ouest et de la culture occidentale en Russie (période française)
Étant un vrai occidental d’après sa vision, Tourgueniev croyait que l'Occident était beaucoup mieux que la Russie.Dans la société russe, tout le déçoit: théâtre, littérature, écrivains, vie sociale.Cela se voit dans ses œuvres.En 1853, le livre «Notes du chasseur» voit le jour. Dans ce livre Tourgueniev exprime son rejet catégorique des relations féodales, apparaît comme un ardent défenseur des paysans et poète de la vie nationale.Selon Tourgueniev, «le noble Russe a servi et sert - et c'est sa force et sa signification, et non la propriété des paysans - un phénomène aléatoire causé non pas par la nécessité que par la non-pertinence et l'incompréhension, et légitimé par hasard et doit disparaître avec la cessation des raisons qui l'ont causé ... " [5, p. 285].
L'avantage des "Notes" était que "l'auteur a vu dans les paysans les gens qui pourraient être mesurés selon les normes européennes" [5, p. 195].
En raison de circonstances biographiques (et surtout de son amour pour la chanteuse française Pauline Viardot qu'il a suivie en France, en Allemagne et de nouveau en France), l'écrivain a vécu près de trois décennies à l'étranger.Il revenait constamment dans son pays natal, s'inspirait de sa nature et des réalités russes, mais aussi à l'étranger il construisait des maisons, faisait son nid pour longtemps.Comme aucun autre écrivain russe, il a réussi à unir dans son propre destin la Russie et l'Europe, la patrie et l'Occident.Tourgueniev a travaillé sans relâche partout: dans son bureau à Spasskoye-Loutovinovo, à Baden-Baden et dans le chalet qu'il a construit près de la villa de Pauline Viardot à Bougival.Il était sans doute le seul écrivain russe qui appartenait non seulement à la Russie mais aussi à l’Europe.
En tant qu'Européen russe, on peut distinguer à Tourgueniev plusieurs hypostases.
Premièrement, il s'est fait de vrais amis en Europe.«Livré par la volonté du destin au centre même de la vie mentale russe et européenne, Tourgueniev avait un cercle social beaucoup plus large que n'importe quel de ses contemporains». Il correspondait, bavardait, rencontrait de nombreuses célébrités européennes.Il y en avait probablement plus en France (puisque Tourgueniev vivait dans ce pays plus longtemps qu'en Allemagne; il était en Angleterre rarement et principalement pour la chasse).
Deuxièmement, Tourgueniev est également devenu un ami intime de la jeune génération d’écrivains français, dont E. Zola, Guy de Maupassant et A. Daudet.L’une des activités de Tourgueniev en tant qu’Européen russe était son activité inlassable de promotion des œuvres étrangères exceptionnelles, selon lui, en Russie.
Troisièmement, il a consacré beaucoup d’efforts à la popularisation de la littérature russe à l’étranger.Il cherchait à présenter aux lecteurs et aux critiques français les plus grands auteurs russes - Pouchkine, Lermontov et Gogol.Il écrivait des articles expliquant leur signification et leur originalité et s’est engagé dans leurs traductions. Sans aucun doute, il voulait montrer et prouver que la Russie n'était pas un pays de barbares, comme le pensaient beaucoup de personnalités européennes même éclairées, mais le berceau de grands talents [3, p. 20].
1.2 «Moscove» et «Norman»: un dialogue créatif
Flaubert était le premier des écrivains français avec qui Tourgueniev était lié par une amitié sincère et une quête créative.
Flaubert a rencontré un «Moscovite» («Moscove», comme il appelait Tourgueniev) le 28 février 1863, lors d'un dîner littéraire dans le café de Magny.Dès le premier jour de leur connaissance, les deux écrivains ont été imprégnés de sympathie sincère l'un pour l'autre et ont commencé à échanger intensivement leurs compositions.
Flaubert a commencé à lire systématiquement les récits de Tourgueniev et, dans sa correspondance, était un critique subtil de ses œuvres, en particulier des histoires psychologiques.Ses deux premières lettres étaient les plus saturées, comme s'il accumulait depuis longtemps des impressions et se réjouissait de jeter son admiration."Vous êtes depuis longtemps un maître pour moi",avec ces mots si flatteurs pour Tourgueniev Flaubert a commencé sa première lettre.Il a tout de suite compris l’importance de «moscovite». Plus tard dans ses lettres à d'autres destinataires il l’appelait «scythe», «grand Tourgueniev», «géant», «colosse».Deux écrivains ont tout de suite trouvé la ressemblance: tous deux étaient des observateurs minutieux de la réalité vivante, des stylistes subtils, des artistes au sens plein du terme [3, p. 314].
Des dizaines de lettres témoignent de son désir de rencontrer le Moscovite dans les plus brefs délais et de lire un fragment de la nouvelle œuvre.Flaubert a donné une description vivante d'une de ces rencontres dans une lettre à George Sand le 2 juillet 1870:«Hier, j'ai passé une merveilleuse journée avec Tourgueniev. Je lui ai lu les cent quinze pages de “ Saint Antoine” que j'ai écrites.Après cela, je lui ai lu près de la moitié des “Dernières chansons”.Quel auditeur! Et quel critique! Il m'a frappé avec la profondeur et la précision du jugement.Ah, si tous ceux qui se sont engagés à juger des livres pouvaient l'écouter! Quelle leçon ce serait pour eux! Rien ne lui échappe.Après avoir écouté le poème en cent lignes, il se souvient où était une épithète faible ... » [6, p. 103].
Tourgueniev et Flaubert étaient des amis proches. Le représentant de la "culture étrangère" est devenu pour Flaubert plus proche que ses amis français.
Tourgueniev cherchait à faire plaisir à son ami qui avait donné sa fortune à sa nièce. Tourgueniev apportait à Flaubert des friandises (saumon, sprats, «poisson suédois») ou des cadeaux coûteux (robe de chambre en soie), et se donnait la peine d'obtenir pour son ami un poste de bibliothécaire bien rémunéré.
Autre moyen de soutenir Flaubert, dont le travail ultérieur n’a pas été couronné de succès en France, était de rendre compte (parfois de manière exagérée) de sa renommée internationale.
Flaubert, à son tour, a contribué au renforcement de la réputation littéraire de Tourgueniev en France, à son rapprochement avec George Sand, à la reconnaissance par des jeunes écrivains de la "nouvelle école" (E. Zola, Guy de Maupassant, A. Daudet).
L’œuvre de Tourgueniev a réconcilié Flaubert et George Sand, qui ont constamment discuté de la relation entre les principes objectifs et subjectifs dans l'art.
Les mêmes œuvres du classique russe ont suscité la joie unanime des deux écrivains, ils ont utilisé le même vocabulaire pour l’exprimer: le verbe dévorer, les épithètes charmant, beau, chef d’œuvre.Dans la manière créative de son ami russe Flaubert a trouvé cette unité des contraires qui le séparait avec George Sand, c'est-à-dire l'harmonie des principes subjectifs et objectifs dans l'art [3, p. 330].
L'enthousiasme sincère de Flaubert et de George Sand pour l'œuvre de Tourgueniev suggère que c'était pour eux une sorte d'idéal qui a réconcilié leurs longs débats.
1.3 Partenariats créatifs d'Ivan Turgenev et de George Sand
Tourgueniev est le seul écrivain russe qui a personnellement rencontré George Sand.La connaissance personnelle de l'un ou l'autre critique, écrivain, traducteur européen au XIXe siècle est une condition indispensable pour que l'auteur russe soit reconnu à l'étranger.Mais si Flaubert commence immédiatement à lireavec enthousiasme les œuvres de Tourgueniev, avec George Sand c'est plus compliqué.
On sait que la première rencontre de Tourgueniev avec George Sand a eu lieu à Courtavenel, la propriété de Viardot, en 1845 grâce à la médiation de Pauline Viardot, qui est restée toute sa vie une amie dévouée de la romancière.À cette époque, Tourgueniev était un écrivain novice, tandis que George Sand était au sommet de son développement créatif.En France, au milieu des années 1840, elle avait les honoraires les plus élevés et en Russie Belinsky et ses collègues lui faisaient la gloire du «premier auteur européen».George Sand ne prêtait pas vraiment attention à un ami russe de Pauline Viardot.
En fait, elle a «découvert» l’oeuvre de Tourgueniev grâce à Flaubert qu’elle a beaucoup estimé et avec qui elle était amie depuis 1863. Flaubert admirait sincèrement le «maître» russe, lui racontant constamment ses rencontres avec lui.Et seulement le 18 janvier 1870 Tourgueniev a pu rendre sa première visiteà l'écrivaine française.Dans son agendaSand écrivait ses impressions: «Enfin, j'ai réussi à m'habiller et à recevoir Tourgueniev à 4 heures.Il est charmant; vieillesse, cheveux blancs, sa barbe le décoraient.Il est excité, complètement surpris quand je lui dis qu'il est un grand artiste et un grand poète». Dès ce jour des relations très chaleureuses entre deux écrivainscommencent [3, p. 342].
Tourgueniev lui envoie des traductions françaises de ses romans. George Sand les lit attentivement et apprécie beaucoup.
George Sand a aimé les œuvres épiques de Tourgueniev - les romans «Rudin», «Pères et Fils», ainsi que «Notes du Chasseur».En tant qu'auteur d'un cycle de romans ruraux et de romans, où elle a d'abord montré le paysan européen comme une personne avec un monde intérieur riche, Sand a ressenti à Tourgueniev la personne aux vues similaires.
Il est nécessaire de reconnaître le rôle de Tourgueniev dans la destruction de l'antipathie de George Sand envers la Russie en tant que pays de servage et envers tous les Russes en tant que «barbares». Elle a développé ce concept à la fin des années 1830-1840 sous l'influence des émigrants polonais, dont A. Mickiewicz.Avant de rencontrer Tourgueniev, elle a souvent identifié le «russe» et le «cosaque», donnant au concept un sens constamment négatif.
Evidemment, l'amitié avec Tourgueniev a provoqué sa perplexité et son doute dans le concept émergent de la Russie, l'homme russe et l'écrivain russe en tant qu'expression de l'identité nationale. Le stéréotype de l'attitude envers le russe en tant que barbare est entré en conflit avec un véritable artiste russe qu'elle a beaucoup apprécié. George Sand ne savait pas exactement comment un pays asiatique par son règne et ses coutumes, un pays loin de la civilisation, pourrait être le lieu de naissance et de développement d'une personne aussi délicate et douée que Tourgueniev. Elle a proposé sa résolution du conflit: pour se préserver lui-même, un Russe noble et talentueux doit dépasser les frontières de son pays et se joindre à la culture européenne et, mieux encore, française.
Ainsi, George Sand a placé Tourgueniev au-dessus de tous les écrivains français modernes.
1.4 Ivan Tourgueniev et Emilе Zola
Parmi les amis de Tourgueniev en France, on peut distinguer Emilе Zola.Zola appartenait à une génération plus jeune, une génération des «enfants», par rapport à laquelle l'écrivain russe était un «père».Il est devenu l'un des écrivains français les plus proches de Tourgueniev après Flaubert. On connaît 58 lettres de Tourgueniev à Zola et 34 lettres de Zola à Tourgueniev.Leur rencontre personnelle a eu lieu en 1874 grâce à Flaubert. Après cela, la correspondance et les contacts personnels ont commencé.
À cette époque, Zola souffrait non seulement de la malveillance de la critique, mais aussi du besoin matériel. Il a toujours rappelé avec gratitude que c'est Tourgueniev qui l'a présenté au public russe au moment le plus difficile de sa carrière littéraire. À l'époque, le jeune écrivain français était persécuté pour son article «Au lendemain de la crise».
«Aucun magazine, disait - il, ne m'imprimait pas, je mourais de faim, j'étais chassé de partout, et c'est alors qu'il m'a introduit dans cette grande Russie, oùdepuis j'ai été très aimé» [1].
Tourgueniev a décidé d'aider Zola et lui a acheté un essai «Lettre de Paris». Il l’a envoyé à Stasiulevich, rédacteur en chef de la revue «Bulletin de l'Europe», avec une recommandation pour le publier. En 1875, à l'initiative de Tourgueniev, Zola devient un collaborateur permanent de cette revue. Il a affirmé que la Russie lui avait rendu foi et force en fournissant une tribune et un public vivant et sensible. À l'avenir, ayant reçu une large reconnaissance en Russie, Zola a toujours répondu à toutes les propositions des éditeurs russes:
- Permettez-moi d'abord de parler avec mon ami Tourgueniev: il a tellement fait pour moi que je lui ai habitué à croire et à ne rien commencer sans son conseil dans tout ce qui concerne la littérature et la presse russes [1].
Tourgueniev en général, par son autorité, a contribué à la diffusion des livres de Zola en Russie, renforçant ainsi la foi de l'écrivain en lui-même.
Tourgueniev aimait énormément l'incroyable capacité de travail de son jeune ami qui publiait chaque année un roman volumineux. L'écrivain russe s'est activement engagé dans la distribution des œuvres de Zola en Russie afin d'obtenir des paiements garantis. Du côté de Tourgueniev, c'était un acte très humain d'aide amicale.
L'aide, la protection, l'encouragement constant de Zola sont des faits qui font honneur à Tourgueniev, d'autant plus que lui-même, il n'a pas accepté la théorie naturaliste, et donc beaucoup à la manière artistique de l'auteur français. Chaque nouveau roman de Zola approfondissait de plus en plus le fossé entre lui et Tourgueniev en tant qu'artiste.L'attention unilatérale de l'écrivain français sur l'animal, le début physiologique chez l'homme, était totalement inacceptable pour Tourgueniev. Mais, conscient de ce désaccord fondamental, il n'a pas cessé de considérer Zola comme son ami et de l'aimer pour son grand talent. Les relations personnelles des deux écrivains se sont renforcées et sont devenues de plus en plus chaudes. Ainsi, dans la correspondance, il y a un passage de la conversion de «mon cher Tourgueniev », « mon cher Zola» à «cher ami» [1].
Ainsi, Tourgueniev a négativement traité les principes de base de la nouvelle direction, dont le représentant principal était Zola, ce qui ne l'a pas empêché, cependant, de le respecter profondément et de l'apprécier pour son grand talent et sa capacité de travail. Jusqu'à la fin de sa vie, Tourgueniev a aidé Zola à publier ses œuvres en Russie. Zola, pour sa part, a toujours écouté les conseils de son ami aîné et n'a jamais fait de négociations sans son approbation. Cette coopération a été fructueuse à la fois pour Zola, qui a pris connaissance indirectement des intérêts et de la psychologie du public russe et a développé de nouvaux thèmes pour elle, et pour Tourgueniev, qui a commencé à mieux comprendre l'originalité de sa propre méthode artistique.
2. Activité de traduction de Tourgueniev. Analyse de la traduction du roman «Viy» de N. Gogol
Parmi les nombreuses œuvres du traducteur Tourgueniev, ses traductions des histoires de Gogol se réfèrent aux premières expériences. L'idée de traductions de Gogol est née lors de la deuxième arrivée de Pauline Viardot en tournée à Saint — Pétersbourg en 1844-1845 en compagnie de son mari, Louis Viardot. C’était un homme qui a occupé une place de premier plan dans l'histoire de la culture française. La brillante tournée de Pauline Viardot a amené dans sa maison quelques-uns des fans les plus persistants, parmi lesquels il y avait Tourgueniev. Il a réussi à devenir jusqu'à la fin de sa vie un ami proche de Louis Viardot. Cette amitié a été renforcée par une activité littéraire commune.
Dans la préface de la publication de Gogol, Louis Viardot a expliqué comment la traduction était effectuée: "ils (les assistants russes) ont accepté gentiment de me dicter le texte original en français. Je n'ai que légèrement redressé les mots et les phrases: et si le style m'appartient en partie, alors le sens n’appartient qu’à eux. Je peux donc promettre, en tout cas, une précision parfaite» [3, p. 390].
Ainsi, le processus de traduction peut être presenté comme ça: Tourgueniev préparait une sous-ligne, et Viardo l'éditait, fournissant des commentaires qui étaient nécessaires, selon lui, pour le lecteur français.
Le récit «Viy» apparaît dans le «Journal des Debats» en décembre 1845 (№16). Nous avons réussi à la trouver à la Bibliothèque nationale de France à Paris. Aujourd'hui, on sait sans doute que la traduction de ce récit appartient à Tourgueniev. Ceci est attesté par une lettre de Louis Viardot datée du 1er (13) mars 1845:«...je gratte pour Vous cette lettre avec la même précipitation que je mettrais pour écrire Votre dictée sur les aventures du philosophe Thomas Brutus<...>» [7, p. 45].
Gogol est le premier écrivain russe qui a organiquement combiné dans un travail différents types de comique et de satirique, de haut et d’ordinaire, de héroïque et de bas. Tourgueniev a réussi à transmettre cette particularité, mais pour les contemporains français de Gogol, ce n'était pas tout à fait habituel et compréhensible.
Tourgueniev a reproduit de manière assez précise et colorée l'atmosphère du marché. Bien que certains détails liés au dialecte familier (à peine traduits en français) aient disparu dans la traduction, la théâtralité vivante des scènes individuelles a été préservée (Annexe 1).
Dans la traduction de Gogol «сусулька», faite de la pâte, a transformé en «saucisse", et les commerçants qui saisissaient les bords de la veste des passants et appelaient des acheteurs, sont apparus comme les figures pittoresques. Parfois, dans la traduction de Tourgueniev, le comisme des situations individuelles a été clarifié. Par exemple, au lieu d’énumérer tout simplement des produits à manger, qui sortaient des poches des écoliers, il, s'adressant aux lecteurs français, a expliqué la raison de l'intérêt pour ces repas des répétiteurs, qui veulent vivre au détriment de leurs pupilles (Annexe 2).
Dans les cas où le traducteur était incapable de transmettre la picturalité originale de Gogol, il expliquait beaucoup dans les notes. Souvent, Tourgueniev a eu recours au calque qui a permis de conserver les exemples les plus frappants de la couleur locale. Les mots désignant des concepts inhabituels pour le lecteur français étaient écrits en latin, et étaient expliqués dans les notes. Malgré les pertes inévitables qui se produisent lors de la traduction, il a recréé l'atmosphère du rire populaire de Gogol, représentant le culte de la chair et de la gourmandise parmi les étudiants (Annexe 3).
En même temps Tourgueniev a omis lors de la traduction (peut-être pour des raisons de censure) certains détails naturalistes et physiologiques de la hyperphagie, par exemple: «Les sénateurs mangeaient tellement de pastèques et de melons que le jour suivant les répétiteurs entendaient deux leçons au lieu d'une: l'une provenait de la bouche, l'autre grognait dans l'estomac du sénateur».
En ce qui concerne la caractéristique de Khoma Brut, il est clair que le charnel a tellement chassé tout ce qui est spirituel et moral qu'il ne ressent aucun danger, prenant à la légère le mal qui le menace.Khoma Brut est l'une des nombreuses personnes de la foule, il n'est ni meilleur ni pire que les autres. Toutes les peurs qu'il a vécues la nuit à l'église, seul avec une sorcière qui se lève du cercueil, sont dissipées et oubliées le jour où il mange beaucoup:«Il mangea presque à lui seul un assez grand cochon de lait».De plus, il écoute les conversations de la foule, où les personnages profanes transforment les choses terribles dans un plan comique. Et tous ces composants du rire spécial de Gogol avec un mélange d'amertume sont transmis avec succès dans la traduction (Annexe 4).
Dans la traduction de «Viy » Tourgueniev utilise beaucoup d'explications et de notes. Dans le même temps, de nombreux ukrainismes, vulgarités et historismes sont transmis par la langue littéraire (Annexe 5).
Lors de la traduction du roman de Gogol, Tourgueniev (comme d’autres traducteurs) a rencontré un phénomène appelé lacunarité, c'est-à-dire l’absence de l'équivalent d'un mot dans une autre langue.Il y avait la difficulté à combler à la fois des lacunes linguistiques (lexicales, stylistiques) et culturelles (ethnographiques, psychologiques, nationales, comportementales). En général, Tourgueniev a fait face aux problèmes, qui se posaient, avec honneur (Annexe 6).
3. Tourgueniev et la France moderne
En Russie, le nom de Tourgueniev est associé à la propriété ancestrale de Spasskoye-Loutovinovo, et le dernier refuge de l'écrivain était une maison-chalet de style russo-suisse dans la banlieue parisienne de Bougival. Tourgueniev a appelé sa propriété «Frênes». En 1983, après la restauration, la maison-musée Tourgueniev à Bougival a ouvert ses portes (Annexe 7).
La relique historique est un ancien piano allemand appartenant à Tourgueniev. Le jour du bicentenaire de l'écrivain, des œuvres musicales classiques interprétées par la célèbre pianiste russe Elena Kushnerova ont été entendues.
Aujourd'hui, le musée de Tourgueniev à Bougival est un lieu de pèlerinage pour les connaisseurs du travail du grand écrivain.
L'histoire de la bibliothèque russe en France est également liée au nom de Tourgueniev. En 1875, une bibliothèque-lecture russe est apparue à Paris. Les livres personnels de Tourgueniev sont devenus la base de cette bibliothèque. Pendant toute sa vie, l'écrivain économisait pour acheter des livres et louer la pièce. Après la mort de Tourgueniev en 1883, la bibliothèque a reçu le nom d'un grand écrivain russe. La bibliothèque russe qui porte le nom de Tourgueniev fonctionne encore aujourd'hui (Annexe 8). La maison-musée actuelle et la bibliothèque Tourgueniev prouvent que l'écrivain n'est pas oublié.
Pendant notre stage en France, nous avons effectué un questionnaire auprès des enseignants et des élèves du lycée. Les personnes interrogées étaient divisées en deux groupes d'âge: les étudiants (14-20 ans) et les adultes (plus de 20 ans). Le questionnaire a montré que l’œuvre et la personnalité de Tourgueniev étaient plus familières aux représentants de l'ancienne génération (Annexe 9, 10).
Parmi les romans et les histoires de l'écrivain, les plus célèbres sont les «Notes du chasseur», «Pères et Fils»et «Nid des nobles ». Les français connaissent aussi les romans ««Novale», «Fumée », «Mumu» (Annexe 11).
En France, Tourgueniev est connu comme le premier écrivain et traducteur russe.
Ainsi, le travail du grand écrivain russe n'est pas étranger aux français.
Conclusion
Des chercheurs nationaux et étrangers affirment que c'est Tourgueniev qui a été le premier écrivain russe reconnu en Europe. Grâce à lui, la littérature russe est devenue une partie de la culture européenne et mondiale. Tourgueniev, de son vivant, a été reconnu comme un classique par toutes les personnalités éminentes de l'Europe.
En faisant ce travail, nous avons compris que le rôle de Tourgueniev dans l'enrichissement mutuel des cultures de la Russie et de la France réside dans ses activités en tant qu'écrivain, critique, mécène, traducteur.
En France Tourgueniev a mené une activité sociale énorme et diversifiée visant à surmonter les préjugés séculaires qui existaient en Europe occidentale par rapport à la Russie. Tout d'abord, il est devenu le propagandiste le plus actif de la littérature russe en Occident et de la littérature occidentale – en Russie. Grâce à lui, le lecteur russe a connu l’œuvre de Flaubert, Zola, Sand. En ce qui concerne les écrivains français, communiquant avec Tourgueniev, ils découvraient le monde russe qu'ils ignoraient, d'autant plus que le narrateur était brillant.
Tourgueniev, comme aucun des écrivains nationaux, a réussi à vivre à la jonction de différentes cultures. Le classique russe s'est intégré organiquement dans la culture européenne, participant à la vie publique du monde éclairé, sans perdre son identité. Par son travail, l'écrivain a montré que la culture de la Russie et de l'Europe est unie.
L'héritage du traducteur Tourgueniev est varié et vaste. Si, auparavant, la traduction était considérée comme une présentation libre du matériel, Tourgueniev introduit et enracine les principes modernes de l'activité de traduction. Il suivait la règle «Ne rien ajouter et ne rien retirer ». Ce principe marque le rejet du type de traduction adopté en France au cours du XVIIIe — début du XIXe siècle.
Dans le domaine de la traduction, Tourgueniev était un innovateur. C'est grâce à la traduction de Tourgueniev en France que l'intérêt pour Gogol s'est éveillé. Sans l'initiative de Tourgueniev, sa réception en France aurait commencé plus tard et aurait probablement été différente.
Bibliographie
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8. Gogol Nicolas. Nouvelles russes. Traduction française. Publiée par Louis Viardot. Paris, 1845.
Annexe 1
Gogol «Рынок в это время обыкновенно только что начинал шевелиться, и торговки с бубликами, булками, арбузными семечками и маковниками дергали на подхват за полы тех, у которых полы были из тонкого сукна или какой-нибудь бумажной материи. “Паничи! паничи! сюды! сюды!” — говорили они со всех сторон: “Ось бублики, маковники, вертычки, буханци хороши! ей-богу, хороши! на меду! сама пекла!” Другая, подняв что- то длинное, скрученное из теста, кричала: “Ось сусулька! паничи, купите сусульку!”» [2]. |
Tourgueniev «Vers l’heure des classes, la place publique commençait d’ordinaire à se remplir, et les marchandes de petits pains, de gâteaux, de graines de pastèques, de pâtés pétris avec du miel et de la graine de pavots, arrêtaient par le pan de l’habit ceux dont les caftans étaient faits de drap ou de coton: — Messieurs, ici, ici, criaient-elles de tous côtés; voici des petits pains, voici des gâteaux de miel. Ils sont bons, très bons, j’en prends Dieu à témoin; je les ai faits moi-même. Une autre criait, en soulevant quelque chose de long et de tordu: — Voici un saucisson, messieurs; achetez un saucisson» [8, p.270-271]. |
Тhéâtralité vivante des scènes
Annexe 2
Gogol «Авдиторы, слушая урок, смотрели одним глазом под скамью, где из кармана подчиненного бурсака выглядывала булка, или вареник, или семена из тыкв» [2]. |
Tourgueniev «Les répétiteurs, tout en écoutant les leçons, regardaient d’un œil par-dessous le banc pour voir s’il ne se trouvait pas dans la poche de leurs écoliers quelques friandise dont ils pussent faire leur profit» [8, p. 217]. |
La sous-ligne: «Репетиторы, слушая уроки, одним глазом смотрели под скамью, чтобы увидеть, нет ли в кармане их учеников какого-нибудь лакомства, которым они могли бы поживиться».
Сomisme de situation
Annexe 3
Transmission de la picturalité originale de Gogol
Annexe 4
Gogol — А что, дядько, — сказал молодой овчар с пуговицами, — можно ли узнать по каким-нибудь приметам ведьму? — Нельзя, — отвечал Дорош. — Никак не узнаешь <...>. — Можно, можно, Дорош. Не говори этого, — произнес прежний утешитель. — Уже бог недаром дал всякому особый обычай. Люди, знающие науку, говорят, что у ведьмы есть маленький хвостик. — Когда стара баба, то и ведьма, — сказал хладнокровно седой козак [2]. |
Tourgueniev — Ecoute, mon oncle, dit le jeune berger aux boutons, est-il possible de reconnaître une sorcière à une marque quelconque? — C’est impossible, répondit Doroch, tout-à-fait impossible <...>. — C’est possible, c’est possible, Doroch, ne dis pas cela, répliqua le consolateur. Ce n’est pas en vain que Dieu a arrangé chacun à sa guise; les gens de science disent que toute sorcière a une petite queue. — Toute vieille femme est une sorcière! dit gravement un vieux Cosaque» [8, p. 301]. |
Conversation de la foule
Annexe 5
Transmission des ukrainismes, des vulgarités et des historismes par la langue littéraire
Annexe 6
Phénomène appelé lacunarité
Annexe 7
Maison-musée Tourgueniev à Bougival, France
Annexe 8
Bibliothèque-salle de lecture Tourgueniev à Paris, France
Annexe 9
Questionnaire
1. Connaissez-vous l'écrivain russe Tourgueniev?
2. Quelles œuvres de Tourgueniev connaissez-vous?
3. Selon vous, quel est le rôle de Tourgueniev dans les relations interculturelles entre la Russie et la France?
4. Quel est l'héritage de Tourgueniev en France?
Annexe 10
Annexe 11